L'apparition et l'existence même de l'ordre des Templiers sont liées
aux Croisades en Terre Sainte. A la fin du 11ème siècle la
prise de Jérusalem (15 Juillet 1099) avait rendu aux pèlerins
occidentaux la liberté d'accès aux lieux saints.
Une fois leurs vœux de Croisade accomplis, la plupart des chevaliers
revenaient en Europe. La Terre Sainte redevint alors aussi dangereuse qu'auparavant,
à cause du brigandage qui régnait sur les chemins, et non
plus à cause des persécutions dont les Chrétiens avaient
fait l'objet de la part des Musulmans auparavant.
Par ailleurs, nombre de pèlerins parvenaient aux lieux saints
dans un état pitoyable : certains mourant d'épuisement, de
faim, de soif, d'autres ayant été dépouillés
de tout par des raids de brigands, d'autres encore ayant dépensé
toute leur fortune et devant survivre de mendicité. La foule de
tous ceux qui n'étaient pas préparés à une
telle entreprise était innombrable.
Le besoin se
faisant sentir d'une protection militaire et spirituelle, c'est alors qu'apparurent
les ordres militaires et hospitaliers, vivant sous une règle religieuse,
au service de la Chrétienté et des Chrétiens. Déjà,
avant 1099, on pouvait compter à Jérusalem des hôpitaux
tenus par des bénévoles et des religieux.
L'ordre
du Temple naquit vers 1118, autour de Hugues de
Payens et de Geoffroy de Saint-Omer. Ce petit groupe d'hommes, religieux
et soldats, s'appelait la Milice du Christ. Ils prirent le nom de Templiers
après que le roi de Jérusalem leur eût abandonné
une partie de son palais construit sur l'emplacement du Temple de Salomon.
En 1127, Hugues
de Payens et quelques-uns de ses compagnons revinrent en Occident afin
de faire reconnaître leur ordre par le pape.
Saint Bernard qui tenait en grande estime l'ascétisme et le mysticisme
des Templiers, œuvra pour que le Concile de Troyes leur donnât une
règle religieuse, en 1128. Ainsi l'ordre des
Templiers fut reconnu.
C'est au cours
de ce voyage qu'apparurent en France les premières maisons de l'ordre
: en Picardie, en Champagne, en Poitou et dans toute l'Aquitaine.
L'ordre comprenait
quatre classes :
- Les chevaliers,
qui devaient être nobles.
- Les écuyers,
les frères lais, qui étaient les sergents et soldats.
- Les chapelains
et prêtres qui formaient le clergé‚ de l'ordre.
- Les commandeurs
à la hiérarchie fortement structurée, dont le grand
maître
avait rang de prince.
Leur devise,
inscrite sur leur étendard noir et blanc, appelé Beauséant,
était : "Non nobis, Domine, sed nomini tuo da gloriam" et le sceau
de l'ordre représentait un cheval monté par un ou deux cavaliers
avec ces mots : "Sigillum militum Christi".
En Orient, les
Templiers formèrent l'avant-garde des armées chrétiennes.
Leur rôle fut donc déterminant dans tous les engagements militaires
des Croisades. Outre leur mission particulière de protéger
et d'aider les pèlerins, les Templiers reçurent la garde
de plusieurs forteresses en Terre Sainte, et les chroniqueurs du temps
nous ont laissé des récits émerveillés sur
ces chevaliers qui savaient combattre, se déplacer et vivre dans
une discipline parfaite.
Les Templiers
jouèrent aussi un rôle prépondérant dans les
croisades d'Espagne contre les Maures. Le fondateur de l'ordre avait compris
la nécessité de joindre les efforts de ses chevaliers religieux
à ceux des Hospitaliers. De nombreuses expéditions étaient
parties d'Aquitaine et les contingents des Templiers d'Angoumois ne manquèrent
pas à l'appel. Ils furent récompensés de leurs nobles
services par de nombreuses donations.
C'est ainsi
qu'en Occident ils devinrent de grands propriétaires terriens. Ils
surent s'enrichir encore davantage en se faisant les banquiers du pape,
des rois, des princes et des particuliers. C'est à leur ordre qu'il
incomba de financer presque exclusivement les croisades, tâche considérable
qu'ils‚ étaient seuls à assumer rigoureusement.
Leurs temples,
ou commanderies, véritables forteresses, constituaient des coffres-forts
inviolables. A leur puissance militaire et religieuse s'alliait donc une
puissance financière énorme.
Cet ordre du
Temple était ouvert à celui qui faisait vœu de chasteté,
d'obéissance et de pauvreté. Nous redirons que Saint Bernard
avait, dès sa naissance, senti et soutenu la force d'un tel ordre,
et la règle du Temple, après s'être rapprochée
de celle de Saint Augustin, adopta celle, très proche, des Cisterciens.
De plus, l'ordre
des Templiers relevait directement de l'autorité du pape,
et cette indépendance vis à vis de toute autorité
épiscopale ne pouvait aller sans inquiéter le clergé.
Dans sa bulle "Omne Datum Optimum" de 1139, que l'on considère comme
la charte de l'ordre, le pape Innocent II avait accordé au commandeur
Robert de Craon le droit " ... de construire des oratoires dans tous les
lieux rattachés au Temple, pour que vous et vos familiers y puissiez
entendre l'office et y être enterrés. Car il est indécent
et périlleux aux âmes que les frères profès,
en allant à l'église, doivent se mêler à la
tourbe des pécheurs et des fréquentateurs de femmes".
Les statuts
de l'ordre, ou "retrais", rédigés avant 1187, nous donnent
de précieux renseignements sur les fonctions des commandeurs de
l'ordre du Temple. Les pouvoirs de ces derniers ne pouvaient dépasser
les limites de la commanderie sur laquelle ils avaient toute autorité.
Ces commandeurs étaient placés sous l'autorité d'un
commandeur de province, et ils ne pouvaient entreprendre l'édification
d'une construction neuve "de pierre ni de chaux ni de mortier" sans en
référer au maître. Cependant, ils pouvaient réparer
ou reconstruire les bâtiments qui se détérioraient
dans leur propre commanderie.
Les commanderies
de province devaient procurer à l'ordre les fonds vitaux. Ces vastes
domaines qu'étaient les commanderies remettaient au commandeur de
province, qui les remettait à son tour au trésorier du Temple
de Paris, tous les revenus des terres non indispensables à la vie
des Maisons, les dons, les legs et les aumônes.
Nos commanderies
locales ne demeurèrent donc pas inactives, participant au
recrutement des Croisés, aidant à leur franchissement
des Pyrénées, assurant leur protection militaire, les assistant
jusqu' aux maladreries, veillant à la sûreté et à
l'entretien des routes. Le rôle de ces Templiers bâtisseurs
de routes et de ponts n'est pas négligeable. C'est ainsi qu'il y
eut rapidement dans notre région une maréchaussée
semblable à celle qui servait en Terre Sainte. La participation
des commanderies dans l'organisation des croisades, tant en Espagne qu'en
Orient, fut la raison même de leur fondation.
Comme les Hospitaliers,
les Templiers devaient assister aux cérémonies célébrées
par le frère chapelain ainsi qu'aux réunions du chapitre
qui avaient en général lieu à la chapelle, après
l'office du dimanche.
Dans un premier
temps, ainsi que le préconisait la bulle "Omne Datum" dans le passage
déjà cité, les chapelles des Templiers leur furent
exclusivement réservées. A partir de 1159, il en fut autrement,
car les fidèles qui avaient offert des dons furent autorisés
à participer aux offices des Templiers, dans des chapelles qui eurent
alors besoin d'être agrandies. De même, des sépultures
de donateurs furent tolérées dans les cimetières jusque
là réservés aux seuls moines-soldats. Le clergé
paroissial conçut une jalousie certaine devant l'afflux des fidèles
dans les lieux de culte et de
sépulture des Templiers.
Nous devons
insister sur la grande fortune de l'ordre, dont la cause était le
rôle même joué par les Templiers au cours des Croisades,
rôle vivement encouragé alors par le pape
qui leur avait accordé tant de privilèges.
Mais l'élan
des premières Croisades devait s'effriter rapidement, les demandes
de secours à l'Occident restant souvent sans effet, et bientôt
les royaumes Francs de Terre Sainte furent reconquis par les Musulmans.
Jérusalem tomba en 1187, pour ne revenir que très brièvement
aux mains des Chrétiens. Les ordres religieux militaires et hospitaliers
tentèrent de se maintenir en Orient, combattant pour défendre
les hôpitaux et les places fortes confiés à leur garde.
La dernière place chrétienne, Saint-Jean-d'Acre, tomba aux
mains des Musulmans le 28 mai 1291, après une héroïque
résistance dans le couvent des Templiers. Les dernières places,
Tyr, Sidon, Tortose furent ensuite évacuées. Les ordres militaires
et hospitaliers se retirèrent sur l’île de Chypre avant de
retrouver une place fixe. Les Templiers choisirent pour chef d'ordre la
Maison du Temple de Paris.
Il est évident
qu'après avoir contribué à débarrasser l'Espagne
de la présence musulmane, qu'après avoir essuyé tous
les désastres qui mirent un terme aux Croisades, la mission des
Templiers était plus ou moins terminée. Par ailleurs, cet
esprit mystique et ascétique qui avait rempli Saint Bernard d'admiration
avait disparu. Demeurait la puissance militaire et financière.
Les privilèges
et la richesse dont jouissait l'ordre du Temple ne tardèrent pas
à allumer la jalousie des plus grands. De plus, l'orgueil des Templiers
n'était pas fait pour désarmer leurs ennemis. Des préjugés
violents, de plus en plus opiniâtres s'élevèrent contre
l'ordre qui eut rapidement à souffrir dans son prestige, comme tous
les autres ordres militaires, des désastres des Croisés en
Orient. Des calomnies obscures s'élevèrent contre les Templiers,
puisqu'on alla jusqu'à les accuser d'intelligence avec les Musulmans.
Des légendes infamantes couraient sur leur moralité, leurs
mœurs, leur avidité, parfois compromis par des frères peu
respectueux de la règle de l'ordre et dont les excès donnèrent
naissance à des proverbes tels que : "Boire comme un Templier",
"Jurer comme un Templier" par exemple. Ces mêmes légendes
obscures couraient sur le mystère de leurs chapitres dont les assemblées
passaient pour être des scènes d'idolâtrie et de débauche.
D'ailleurs, même les esprits les plus éclairés reconnaissaient
la nécessité d'une réforme des ordres militaires à
l'issue des Croisades. Cependant, rien ne pouvait laisser prévoir
la fin rapide et tragique des Templiers.
Le drame éclata
avec le règne de Philippe le Bel, roi de
France, dont les besoins financiers et la cupidité ne pouvaient
s'accommoder d'une telle situation. La toute-puissance temporelle et financière
de l'ordre était intolérable au roi de France et à
son proche entourage. Le roi avait déjà frappé les
Juifs, et il vit dans les Templiers une proie plus belle encore.
Dès
1305, des gens de l'entourage royal pensaient à confisquer les biens
de l'ordre du Temple. Des négociations s'engagèrent avec
le pape Clément V qui tergiversa. Enfin,
le 13 octobre 1307, à l'instigation de Guillaume de Nogaret, homme
d'état tout puissant proche du roi, Jacques de Molay, le grand
maître, et tous les Templiers du royaume furent saisis par les
officiers royaux, au nom de l'Inquisition, et sur l'accusation d'hérésie.
Pour obtenir
les aveux nécessaires, les inquisiteurs multiplièrent les
plus atroces tortures. C'est ainsi que de grands dignitaires du Temple
avouèrent des crimes dont, bien entendu, ils n'étaient pas
coupables. Certains avouèrent le reniement du Christ, la pratique
de mœurs contre nature qu'on leur imputait; Jacques de Molay lui-même
avoua sous la torture avoir craché sur la croix...
Le pape
s'émut, tenta de venir au secours de l'ordre, mais la puissance
royale l'emporta. Guillaume de Nogaret obligea Clément
V à céder en convoquant à Tours les Etats Généraux
qui, en 1308, déclarèrent passibles de mort tous les Templiers.
Clément V fit alors comparaître l'ordre
devant le Concile de Vienne et par la bulle du 3 avril 1312, il en prononça
la suppression, mais sans qu'il y eût condamnation effective de l'ordre
par l'Eglise.
Mais, de son
côté, Philippe le Bel avait déjà
fait condamner les Templiers par des conciles provinciaux, et nombre d'entre
eux avaient péri sur le bûcher après avoir rétracté
des aveux arrachés sous la torture. En même temps, le roi
avait fait saisir tout le numéraire accumulé dans les commanderies,
et avait fait occuper les biens des Templiers. Ces biens ne devaient être
concédés aux Hospitaliers, tels que les chevaliers de l'ordre
de Malte, que sur le paiement de lourdes indemnités, suivant la
décision du concile.
Dans certains
autres royaumes d'Europe, tels que l'Angleterre, l'Espagne,
l'Allemagne, les princes agirent de même : suppression de l'ordre
des Templiers, confiscation de leurs biens, mais sans avoir recours aux
supplices et exterminations tragiques commis en France. |