L'ADJUDANT NAVARRE
 
                              L'autorité militaire s'était départie dernièrement, en faveur du sergent pilote Guynemer - sous-lieutenant depuis lors - de la consigne qui laissait anonymes les exploit de nos aviateurs. A son tour, l'adjudant Navarre, dont le nom a déjà paru, mais aurait pu être inscrit plus souvent encore au-dessus de certaines photographies glorieuses, vient de recevoir des éloges officiels, à deux reprises.
Le 27 février 1916 :
    Aujourd'hui, dans la région de Verdun, l'adjudant Navarre, sur avion monoplace, a abattu à coup de mitrailleuse deux avions allemands, ce qui porte à cinq le nombre des avions ennemis abattus par ce pilote. Les appareils ennemis sont tombés dans nos lignes. Deux des aviateurs qui les montaient ont été tués. Les deux autres ont été faits prisonniers.
Le 3 mars 1916 :
    L'adjudant Navarre a abattu, hier, dans la région de Douaumont, un sixième avion allemand, du type Albatros, qui est tombé dans nos lignes. Les passagers, blessés, ont été faits prisonniers.
          Ces communiqués ne font pas mention de deux autres aéroplanes allemands que l'adjudant Navarre fit choir dans les lignes ennemies.
          Comme Guynemer, Jean Navarre est âgé de vingt ans. Nous publions sa photographie et celle de son frère jumeau Pierre, avec lequel il offre une extraordinaire ressemblance, et qui vient, lui aussi, d'entrer dans l'aviation - et d'être affecté à la même escadrille - après avoir récolté plusieurs citations dans le génie. Originaires de Jouy-sur-Morin, ils sont les aînés d'une famille de onze enfants
          Il faudrait des pages entières pour narrer les prouesses de l'adjudant Navarre, qui porte, a côté de la croix de guerre, la médaille militaire et la Légion d'honneur. Il est, dans ses manières, une nouvelle confirmation de la tradition de modestie des héros. Solitaire, taciturne, il ne se sent en plein essor que dans une indépendance absolue. Et son caractère frondeur complète bien la physionomie de cet acrobate de l'air, qui n'est pas loin du temps où, avec son frère, il tendait un fil métallique entre deux cheminées d'usine et y faisait, à vingt mètres du sol, de la corde raide.
          Pégoud, Garros, Gilbert, nos héros disparus ou prisonniers, ont des émules dignes de ces grands aînés. Et combien d'autres, encore ignorés ou à peine connus, attendent d'avoir descendu, dans nos lignes, leur cinquième avion ennemi pour recevoir la faveur du communiqué officiel !

toto / 2002